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LES SYMBOLISTES

noire qui pousse avec zèle ses protégés dans toutes les carrières, les marie avec de riches héritières, court à leur aide dans les situations fâcheuses, cache leurs fautes, étouffe les scandales, etc. Or, ce sont les jésuites qui, dans ces dernières années, se sont appliqués à inculquer leur propre manière de penser à la jeunesse dorée de France à eux confiée. Ces jeunes gens apportèrent dans les écoles de prêtres un cerveau héréditairement défectueux et inclinant en conséquence au mysticisme, et les écoles en question donnèrent ensuite à la pensée mystique des jeunes dégénérés la couleur religieuse. Ce n’est pas là une hypothèse arbitraire, mais un fait. M. Charles Morice, le théoricien esthétique et le philosophe des symbolistes, a, au témoignage de ses amis, reçu son éducation chez les jésuites[1]. De même MM. Louis Le Gardonnel, Henri de Régnier et autres. Les jésuites ont trouvé la phrase de la « banqueroute de la science » , et leurs élèves la rabâchent après eux, parce qu’elle renferme une explication plausible de leur rêvasserie religieuse, dont ils ne connaissent pas les véritables raisons organiques, qu’ils ne comprendraient d’ailleurs pas, même s’ils les connaissaient. « Je retourne à la foi parce que la science ne me satisfait pas » , c’est là une chose que l’on peut dire. Elle a même bon air, car elle laisse supposer la soif de la vérité et la noble préoccupation des grandes questions. Par contre, on confessera difficilement ceci : « Je suis pris de passion pour la Sainte-Trinité et la Sainte Vierge, parce que je suis un dégénéré et que mon cerveau est incapable d’attention et de pensée claire ».

  1. Morhardt, op. cit., p. 769.