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LE MYSTICISME

sible, de déterminer les conditions dans lesquelles ils se produisent ? Et n’a-t-elle pas tenu cette promesse ? Ne la tient-elle pas constamment ? Celui qui a attendu d’elle que du jour au lendemain elle explique tout le mécanisme de l’univers comme un escamoteur explique ses trucs soi-disant merveilleux, celui-là n’a aucune idée de la tâche réelle de la science. Elle se refuse tous les bonds et toutes les envolées. Elle avance pas à pas. Elle jette lentement et patiemment un pont solide sur l’inconnu, et ne peut lancer une arche nouvelle sur l’abîme avant d’avoir assis un nouveau pilier dans la profondeur et l’avoir amené jusqu’à la hauteur voulue.

En attendant, elle ne parle pas de la cause première des phénomènes, tant qu’elle a encore un si grand nombre de causes proches à étudier. Maints représentants des plus éminents de la science vont même jusqu’à déclarer que la cause première ne fera jamais l’objet de la recherche scientifique et la nomment, avec Herbert Spencer, « l’inconnaissable », ou profèrent, avec Du Bois-Reymond, le découragé : Ignorabimus ! Mais tous deux, ici, procèdent d’une façon complètement anti-scientifique, et prouvent simplement que même des penseurs clairs comme Herbert Spencer et des savants prudents comme Du Bois-Reymond, sont encore sous le joug de la rêverie théologique. La science ne peut parler d’un inconnaissable quelconque, car cela présupposerait qu’elle est en état de limiter exactement les bornes du connaissable, ce qu’elle ne peut, puisque chaque nouvelle découverte les recule ; l’hypothèse d’un inconnaissable implique en outre l’admission du fait qu’il y a quelque chose que nous ne pouvons connaître ; main-