Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée
188
LE MYSTICISME

quoi bon rechercher des causes douteuses, quand le fonctionnement de l’univers et de l'homme devenait si clair pour le physicien, pour le physiologiste ?… Le moindre tort de Dieu, c’était d’être inutile. De beaux esprits l’affirmèrent, et tous les médiocres en furent persuadés. Le xviiie siècle avait inauguré le culte de la Raison : on vécut un moment dans l’ivresse de ce millénium. Puis vint l’éternelle désillusion, la ruine périodique de tout ce que l’homme bâtit sur le creux de sa raison… Il dut s’avouer que par-delà le cercle des vérités conquises, l’abîme d’ignorance reparaissait, toujours aussi vaste, aussi irritant [1] ».

M. Charles Morice, le théoricien et le philosophe des symbolistes, dénonce presque à chaque page de son livre : La Littérature de tout à l’heure, la science pour ses différents gros péchés. « Il est déplorable que nos savants n’aient point compris », dit-il dans son langage apocalyptique, « qu’en vulgarisant la science ils la décomposaient (?), que confier aux mémoires inférieures les principes, c’est les exposer aux incertitudes d’interprétations sans autorité, d’erronés commentaires, d’hétérodoxes hypothèses ; car c’est lettre morte, le Verbe enclos dans les livres, et les livres eux-mêmes peuvent périr, — mais le courant qu’ils déterminent, le souffle émané d’eux leur survit, — et que faire s’ils ont soufflé la tempête et déchaîné (!) les ténèbres ? Or, tel est le résultat le plus clair de tout ce fatras de vulgarisation… Ne touchons-nous pas ici (à propos de la morale des Fables de la Fontaine) la

  1. Vte E. M. de Vogué, op. cit., p. xix et sqq.