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FIN DE SIÈCLE

que l’imitation d’une mode étrangère tenue pour distinguée, et n’a rien d’organique. C’est dans son pays d’origine qu’il se présente de la façon la plus authentique ; et Paris est l’endroit désigné pour l’observer dans ses manifestations variées.

Que le mot en lui-même soit tout à fait niais, c’est ce qu’il est inutile de démontrer. Seul le cerveau d’un enfant ou d’un sauvage a pu concevoir la grossière idée que le siècle est une sorte d’être vivant né à la façon d’un animal ou d’un homme ; qu’il parcourt toutes les phases de l’existence, enfance, jeunesse, âge mûr, puis vieillit et dépérit peu à peu, pour mourir à l’expiration de la centième année, après avoir subi dans les derniers dix ans toutes les infirmités d’une pitoyable sénilité. Cet anthropomorphisme ou zoomorphisme puéril ne réfléchit même pas que la division arbitraire du Temps, qui s’avance d’un pas éternellement égal, n’est pas la môme chez tous les hommes civilisés, et qu’au moment où le dix-neuvième siècle de l’ère chrétienne ainsi personnifié marche, affirme-t-on, à sa mort dans le plus profond épuisement, le quatorzième siècle du monde mahométan sautille allègrement dans les chaussures de ses premières dix années, et le cinquante-septième siècle des juifs, avec sa cinquante-deuxième année, gravit d’un pas sûr le sommet de son développement. Il naît chaque jour sur notre globe une génération de cent trente mille êtres humains pour laquelle le monde commence ce jour-là, et le nouveau citoyen de l’univers n’est ni plus flétri ni plus frais, qu’il ait surgi à la vie en 1900, au milieu de l’agonie du dix-neuvième siècle, ou en 1901, le jour de la naissance du