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LES SYMBOLISTES

de consacrer à un travail quelconque une concentration et une attention soutenues, des noms aimables et des désignations décoratives. Ils nomment cela « nature artistique », « génialité au libre essor », « élan hors de l’atmosphère épaisse et basse de la banalité ». Ils raillent le plat philistin qui accomplit mécaniquement, comme le cheval du moulin, un travail régulier, et méprisent les épiciers étroits qui exigent qu’un homme exerce un métier bourgeois bien défini ou possède un titre officiellement reconnu, et témoignent, au contraire, une profonde défiance pour les arts sans pain. Ils glorifient les gens errants qui vagabondent lyriquement, carottent insoucieusement, et ils présentent comme leur idéal le coucheur à la belle étoile qui se lave dans la rosée, dort sous les fleurs, et s’habille dans la même maison que le lis des champs dont parle l’Évangile. La Chanson des Gueux, de M. Jean Richepin, est l’expression la plus typique de cette conception de la vie, dont les Chansons d’un Compagnon errant et les Lieds du Ménétrier, de Rodolphe Baumbach, nous offrent, dans la littérature allemande, un exemple analogue, quoique moins accusé. Le Pégase au joug de Schiller, aussi, semble tirer sur la corde de ces contempteurs du labeur quotidien réclamé par la société ; mais seulement en apparence, toutefois, car notre grand poète ne prend point parti pour le paresseux impuissant, mais pour la force débordante qui voudrait faire plus de choses, et de plus grandes, que l’ouvrage du garçon de bureau et du veilleur de nuit.

En dépit, d’ailleurs, de son imbécillité et de son amour de lui-même, le flâneur affectant des dehors d’artiste ne