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LE MYSTICISME

lui-même un élève de Chaucer [1]. Il copie innocemment aussi des strophes entières du Dante, par exemple l’épisode si connu de Françoise de Rimini du cinquième chant de l'Enfer, quand il chante dans Guenevere : « Dans ces beaux jardins Lancelot vint, se promenant. Cela est vrai. Le baiser dont nous nous baisâmes, lors de cette rencontre, par ce jour de printemps, j’ose à peine parler de la félicité de ce souvenir ». Morris se persuade qu’il est un trouvère du XIIIe ou du XIVe ; il se donne la peine d’envisager les choses et de les exprimer dans la langue dont il se serait servi s’il avait été réellement un contemporain de Chaucer. A part cette ventriloquie poétique par laquelle il cherche à modifier le son de sa voix de façon qu’elle ait l’air de résonner de loin à nos oreilles, on n’observe pas en lui beaucoup de marques de dégénérescence. Cependant il tombe parfois dans une écholalie prononcée, par exemple dans cette strophe de l'Earthly Paradise :

Of Margaret sitting glorious there
In glory of gold and glory of hair
And glory of glorious face most fair,

où « glory » et « glorious » sont répétés cinq fois en trois vers. Son émotivité a fait de lui, dans les derniers temps, l’adepte d’un socialisme nuageux principalement composé de pitié et d’amour du prochain, et qui produit

  1. William Morris, Poems (édition Tauchnitz), p. 169:

    And if it hap that…
    My master Geoffroy Ghaucer thou do meet,…
    Then … speak the words :
    O Master, o thou great of heart and tongue, etc.