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LES PRÉRAPHAÉLITES

pourtant des idées, et elles sont claires et cohérentes. Il est mystique, mais son mysticisme a plus le caractère du pervers et du criminel que du paradisiaque et du dévot. Il est le premier représentant du « diabolisme » baudelairien dans la littérature anglaise. Ceci s’explique par ce fait, qu’à côté de l’influence de Rossetti il a tout particulièrement subi celle de Baudelaire. Comme tous les dégénérés, il est extraordinairement accessible à la suggestion, et il a successivement imité, consciemment ou inconsciemment, tous les poètes marquants qui lui sont passés sous les yeux. Il a été, de même que de Rossetti et de Baudelaire, un écho de Théophile Gautier et de Victor Hugo, et l’on peut suivre pas à pas dans ses poésies le courant de ses lectures.

Absolument dans la manière de Rossetti est, par exemple, Christmas carol[1] (Three damsels in the queens chamber) : « Trois demoiselles dans la chambre de la reine. La bouche de la reine était extraordinairement belle. Elle dit un mot de la mère de Dieu, tandis que les peignes passaient dans ses cheveux. Marie, qui es puissante, mène-nous à la vue de ton fils — Mary that is of might, Bring us to thy sons sight ». Ici nous trouvons le mysticisme du fond uni au mode d’expression affectant l’archaïque et l’enfantin du véritable préraphaélisme. Sur ce modèle est travaillé aussi The masque of queen Bersabe, qui imite, avec ses indications de jeux de scène en latin et son style de théâtre de marionnettes, un « miracle » du moyen âge, et qui est devenu de son côté le modèle

  1. Algernon-Charles Swinburne, Poems and Ballads. Londres, Chatto et Windus, 1889, p. 247.