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LE MYSTICISME

de la mort. Comme lui-même, à l’idée d’Hélène à Sparte, est amené par l’association des idées à celle des destins ultérieurs de Troie, de même le lecteur, qui voit encore à Sparte la jeune reine enivrée de sa propre beauté, doit avoir en même temps présent à l’esprit le tableau des conséquences tragiques éloignées de sa soif d’amour. Néanmoins il n’essaie pas d’unir raisonnablement ces deux cercles d’idées, mais il répète toujours à part soi, par intervalles, à la façon monotone d’une litanie, les mêmes invocations mystérieuses à Troie, tandis qu’il raconte la scène du temple de Vénus à Sparte. Sollier note cette particularité chez les faibles d’esprit : « Ils interposent des mots qui n’ont aucun rapport avec la question ». Et plus loin : « Chez l’idiot…, le rabâchage devient un véritable tic [1] »

Dans un autre poème très célèbre, Eden bower [2] qui traite de la Lilith préadamite, de son amant le serpent de l’Eden et de sa vengeance à l’égard d’Adam, on retrouve alternativement, après le premier vers des quarante-neuf strophes, ces mots en forme de litanie : « Eden bowers in flower » et « And o the bower and the hour ». Bien entendu, entre ces mots absolument dépourvus de sens en eux-mêmes : « Le berceau de verdure de l’Éden est en fleur », « Et ô le berceau de verdure et l’heure ! » et la

  1. Sollier, Psychologie de l’Idiot et de L'Imbécile, p. 184. — Comparer aussi Lombroso, Génie et Folie (édition allemande), p. 233 : « Les graphomanes ont encore un autre penchant commun avec les fous proprement dits : ils aiment à répéter fréquemment le même mot, et quelquefois à le faire reparaître plus de cent fois sur la même feuille. Dans un chapitre écrit par Passanante, on trouve environ cent trente fois le mot riprovate (blâmez) ».
  2. Poems, p. 31.