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LE MYSTICISME

rappelée de Balzac, relative à l’influence déterminante d’un nom sur le développement et les destinées de celui qui le porte. Le sentiment poétique tout entier de Rossetti a sa racine dans le Dante. Sa conception du monde est un pastiche confus de celle du Florentin. Dans toutes ses représentations entre un souvenir sourd ou clair de la Divine Comédie ou de la Vie nouvelle.

L’analyse d’un de ses poèmes les plus célèbres : The blessed Damozel (La Damoiselle bénie), va nous faire comprendre et ce parasitisme sur le corps du Dante, et quelques particularités caractéristiques du travail d’un cerveau mystique. Voici la première strophe : « La damoiselle bénie se penchait en dehors sur la rampe dorée du ciel ; ses yeux étaient plus profonds que la profondeur des eaux, que le soir apaise. Elle avait trois lis à la main, et les étoiles dans sa chevelure étaient au nombre de sept ». Tout ce tableau de la bien-aimée perdue, qui, du haut de l’empyrée, conçu comme un palais, dans sa splendeur paradisiaque, abaisse les yeux sur lui, est un reflet du Paradis du Dante (3e chant), où la Vierge bienheureuse parle du sein de la lune au poète. Nous y retrouvons même certains détails, par exemple les eaux profondes et tranquilles (…ver fer acque nitide e tranquille Non si profonde, che i fondi sien persi… ). Les « lis à la main », il les a empruntés aux tableaux des « primitifs », mais on retrouve ici aussi un léger écho du salut matinal du Purgatoire (30e chant) : Manibus o date lilia plenis. Il nomme la bien-aimée du nom anglo-normand « damozel ». Par là, il rend artificiellement vagues les contours nets d’une jeune fille ou demoiselle, et voile sous un nuage