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LES PRÉRAPHAÉLITES

le Christ priant, que remplit le pressentiment de son prochain sacrifice, il nous aurait montré dans le tableau un Christ réaliste en prière, et, dans un coin, une crucifixion tout aussi réaliste, mais jamais il n’aurait tenté de fondre en une seule, par un lien nuageux, ces deux scènes différentes. Telle est la différence entre la peinture religieuse de croyants robustes et sains, et celle de dégénérés émotifs.

Avec le temps, les préraphaélites ont dépouillé beaucoup de leurs bizarreries du début. Millais et Holman Hunt n’affectent plus le mauvais dessin voulu et n’imitent plus puérilement le balbutiement de Giotto. Ils n’ont conservé des idées directrices de l’école que la reproduction soigneuse de l’accessoire et la peinture d’idées. Un critique bienveillant, M. Edouard Rod, dit d’eux : « Ils étaient littérateurs eux-mêmes, et leur peinture est de la littérature [1] ». Ce mot continue à s’appliquer à cette école. Quelques-uns des premiers préraphaélites l’ont compris. Ils ont reconnu à temps qu’ils se sont trompés sur leur vocation, et alors ils sont passés d’une peinture qui était, en vérité, une écriture d’idées, à l’écriture véritable.

Le plus connu parmi eux est Dante-Gabriel Rossetti, ce fils, né en Angleterre, d’un carbonaro italien commentateur du Dante. Son père lui donna à sa naissance le nom du grand poète, et ce prénom expressif devint pour Rossetti une suggestion durable qu’il a ressentie, et, quoique peut-être seulement demi - consciemment , reconnue [2]. Il est l’exemple le plus instructif de l’affirmation souvent

  1. Édouard Rod, Études sur le XIXe siècle. Paris et Lausanne, 1888, p. 89.
  2. Rossetti, Poems, p. 277.