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LES PRÉRAPHAÉLITES

les laissaient indifférents, c’était leur raideur pleine de gaucherie ; ils virent donc tout simplement dans cette raideur pleine de gaucherie la source de leur émotion, et imitèrent avec beaucoup de peine et de conscience le mauvais dessin des « primitifs ».

Oui, certes, la gaucherie des « primitifs » est touchante. Mais pourquoi ? Parce que ces Cimabue et ces Giotto étaient sincères. Ils voulaient se rapprocher de la nature et se délivrer du joug de la tradition de l’école byzantine, devenue complètement infidèle à la vérité. Ils luttaient, avec les plus violents efforts, contre les mauvaises habitudes d’œil et de main que les maîtres des corporations leur avaient imposées, et le spectacle d’une telle lutte, comme celui d’ailleurs de tout violent déploiement de forces de la personnalité qui veut briser des chaînes de n’importe quelle nature et affranchir son « moi », ce spectacle est le plus attrayant qu’il soit possible d’observer. Toute la différence entre les « primitifs » et les préraphaélites, c’est que ceux-là devaient commencer par inventer le dessin et la peinture exacts, tandis que ceux-ci voulaient les oublier. C’est pour cette raison que là où les premiers ravissent, les seconds doivent repousser. C’est le contraste existant entre le balbutiement d’un enfant et le bégaiement d’un vieillard ramolli, entre l’infantile et l’enfantin. Mais ce retour aux débuts, cette affectation de simplicité, ce jeu de bébé dans les mots et les attitudes, ce sont là des phénomènes fréquents chez les débiles d’esprit, et nous les rencontrerons souvent encore chez les poètes mystiques.

Conformément à la doctrine de leur maître théorique