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LES PRÉRAPHAÉLITES

notes au bas des pages, et il est conquis par un radotage accompagné de tableaux statistiques. C’est un trait bien anglais que Milton, dans sa description de l’enfer et de ses habitants, soit aussi détaillé et consciencieux qu’un arpenteur et un naturaliste, et que Bunyan raconte le Voyage du Pèlerin vers le royaume mystique de la rédemption, avec la méthode des récits de voyage les plus plastiques, comme un capitaine Gook ou un Burton, Ruskin possède au plus haut degré cette particularité anglaise de l’exact dans l’absurde, des mesures et des nombres dans le délire de la fièvre.

En 1843, presque en même temps que l’explosion du grand mouvement catholicisant, Ruskin commença à publier les études d’art surexcitées qui furent réunies plus tard sous le titre de Modern Painters (Peintres modernes). Il était alors un jeune théologien, et c’est comme tel qu’il aborda la contemplation des œuvres d’art. La vieille scolastique voulait faire de la philosophie la « servante de la théologie ». Le mysticisme de Ruskin se proposait le même but avec l’art. La peinture et la sculpture devaient être une forme du service divin, ou elles ne devaient pas être. L’œuvre d’art valait seulement par l’idée transcendante qu’elle voulait exprimer, par la ferveur qui l’inspirait et s’y révélait, et non par la perfection de la forme.

Cette manière de voir l’a conduit à des affirmations dont je veux citer ici quelques-unes des plus caractéristiques. « Il me semble », dit-il, « qu’un grossier symbole peut souvent émouvoir le cœur plus efficacement qu’un symbole raffiné, et que l'on examine des tableaux en tant que chefs-d’œuvre avec moins de dévotion et plus de curiosité… Ce que cherche et adore toujours celui qu’on