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LE MYSTICISME

Et plus encore que l’erreur de leur philosophie, fui néfaste la fausse psychologie des encyclopédistes. Ils crurent que les pensées et les actions de l’homme sont déterminées par la raison, par les lois de la logique, et ils ne soupçonnèrent aucunement que la vraie force motrice de ses idées et de ses actes sont les émotions, ces excitations élaborées dans les profondeurs des organes intérieurs, dont l’origine échappe à la conscience, qui font soudainement irruption dans celle-ci comme une horde de sauvages, ne disent pas d’où elles viennent, ne se plient à aucun règlement de police de la pensée civilisée, et exigent impérieusement d’être logées. Tout le vaste domaine des besoins organiques et des instincts héréditaires, ce qu’Edouard de Hartmann nomme l' « inconscient », resta caché aux rationalistes, et ils ne virent que l’étroit cercle de la vie psychique qu’éclaire la petite lampe de la conscience. Une poésie qui représentait l’homme d’après les vues de cette psychologie insuffisante, devait être fausse jusqu’au ridicule. Elle n’avait pas de place pour les passions et les folies. Elle ne voyait dans le monde que des formules logiques sur deux jambes et des équations mathématiques à tête poudrée et à habits brodés. Le sentiment naturel se vengea de cette aberration artistique, en entrant en révolte et en n’admettant plus que l’inconscient, l’instinct héréditaire et les appétits organiques, sans plus se préoccuper de la raison ni de la volonté, qui pourtant existent aussi.

Le mysticisme, qui s’insurgea contre l’emploi de la méthode rationaliste dans l’interprétation du monde, le mouvement d’assaut et d’irruption, qui s’émeuta contre le