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LE MYSTICISME

Beaucoup d’interprétations erronées des phénomènes naturels, la plus grande partie des fausses hypothèses scientifiques, toutes les religions et les systèmes métaphysiques, sont nés ainsi : c’est que les hommes ont entremêlé à leurs idées et à leurs jugements, à côté d’aperceptions sorties d’une perception immédiate, d’autres aperceptions provoquées par des mots, auxquelles ils ont accordé une valeur égale. Ou les mots avaient été inventés par des mystiques, et ils n’indiquaient dès l’origine que l’état vertigineux d’un cerveau malade et faible, ou bien ils exprimaient au début une aperception déterminée et exacte ; mais leur sens véritable n’était jamais apparu à ceux qui les répétaient, et avait été arbitrairement faussé par eux, mal interprété ou embrouillé.

La faiblesse d’esprit innée ou acquise et l’ignorance conduisent au même but : le mysticisme. Le cerveau de l’ignorant élabore des aperceptions nébuleuses, parce qu’il est excité non par le phénomène lui-même, mais seulement par un mot, et que cette excitation n’est pas assez forte pour pousser les cellules cérébrales à un travail plus vigoureux ; et le cerveau de l’épuisé et du dégénéré élabore des aperceptions du même genre, parce qu’il n’est pas capable de répondre à une excitation par une activité vigoureuse. C’est ainsi que l’ignorance est une faiblesse d’esprit artificielle, comme, au contraire, la faiblesse d’esprit est l’inaptitude organique naturelle au savoir.

Dans une partie quelconque de son horizon intellectuel, chacun de nous est donc mystique. De tous les phénomènes qu’on n’a pas observés soi-même, chacun se fait des aperceptions vaporeuses et vacillantes. Mais on distin-