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PSYCHOLOGIE DU MYSTICISME

sant de l’esprit, ont reconnu l’impossibilité de l’attacher à une suite d’idées, d’obtenir de lui une conclusion logique, de lui faire comprendre un fait ou un rapport de causalité. Quand l’enchaînement des aperceptions s’effectue non seulement d’après les impressions de l’ouïe, non d’après la pure consonance, mais aussi d’après les autres lois de l’association des idées, alors naissent ces juxtapositions de mots que le profane qualifie de « mode d’expression original » et qui procurent à leur auteur un renom de « brillant » causeur ou écrivain.

Le Dr Sollier cite quelques exemples caractéristiques du mode d’expression « original » d’imbéciles[1]. L’un disait à son camarade : « Tu as l’air d’un sucre d’orge en nourrice ». Un autre formulait en ces termes l’idée que son ami le faisait tellement rire, qu’il ne pouvait pas retenir sa salive : « Tu me fais baver des ronds de chapeaux ». L’accouplement de mots qui, par le sens, sont incohérents ou très peu cohérents, est en règle générale une preuve d’imbécillité, quoique trop souvent il étonne et fasse rire. Le genre d’esprit qu’à Paris on nomme « blague » ou « esprit du boulevard » est, aux yeux du psychologue, de l’imbécillité. Et que cet esprit puisse s’allier aux tendances artistiques, cela est compréhensible. Toutes les professions qui réclament la connaissance de la réalité et l’adaptation à celle-ci, présument l’attention. Mais l’attention manque à l’imbécile, qui est par conséquent inapte aux professions sérieuses. Certaines occupations artistiques, notamment celles de genre subordonné, sont au contraire conciliables avec l’associa-

  1. Dr Paul Sollier, Psychologie de l'Idiot et de l'Imbécile. Paris, 1890, p. 153.