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comblent en tombant les abîmes de la mer, et de leurs débris terrestres agglomérée créent des îles nouvelles, et enracinent leurs fondements. Les arbres croulent, glissent d’eux-mêmes dans les guérets, et les fruits tout verts encore jonchent le sol. Le jardin à peine en fleur est renversé, l’émail des prairies flétri ; le Zéphyr n’agite plus sur les cyprès onduleux que des rameaux desséchés ; Phébus auprès de ses hyacinthes détruits, consacre sa voix à d’harmonieuses lamentations, et entonne l’hymne de deuil ; bien plus encore quo sur les guirlandes d’Amyclée[1], il gémit sur le laurier brisé près de lui ; l’an tout chagrin relève son pin incliné ; Minerve, en souvenir de la nymphe Moria[2] qui lui a donné la ville de l’Attique, s’attendrit sur les plaies de l’olivier ; Vénus pleure ses anémones dans la poussière, ses rosiers couchés sur le sol, elle arrache les molles boucles de sa chevelure qu’elle ne peut plus parfumer de leurs douces odeurs ; Cérès déplore ses épis perdus avant d’avoir, à leur maturité, célébré les fêtes Thalysies[3] ; et les Dryades[4] regrettent les arbres de leur âge dépouillés de leurs rameaux ombreux.

Après le ravage de ses belles tiges, une Hamadryade s’est échappée sans voile d’un laurier né avec elle, et tout près d’elle une autre Nymphe, quittant d’un pied rapide l’abri d’un pin, parle ainsi à sa compagne exilée.

« Hamadryade du laurier, toi qui redoutes comme moi les liens du mariage, fuyons ensemble, toi Apollon et moi Pan. Épargnez-nous, ô bûcherons ; ne tranchez plus violemment les branches de Daphné déjà si affligée. Et toi, constructeur, ne va pas dresser avec les solives de mes pins un vaisseau destiné à la mer qui vit naître Vénus. Fendeur de chênes, accorde-moi cette grâce dernière ; au lieu de ces rameaux, frappe-moi de ta hache, et viens percer mon sein du glaive pudique de la chaste Minerve, afin que je descende aux enfers vierge comme Pitys[5] ou Daphné, et sans avoir connu ni l’hymen ni l’amour. »

Elle dit ; et formant avec des feuilles une ceinture imparfaite, elle recouvre son sein sous cette verte écharpe, et cache ses membres repliée. Sa compagne la voit, et lui répond tristement :

« J’éprouve moi-même par instinct de biens vives terreurs : née d’un Laurier, je serai sans doute aussi poursuivie comme Daphné. Mais où fuir ? Si je me retire sur les rochers, la foudre a réduit en cendre leurs cimes lancées contre l’Olympe ; je puis y redouter comme Pitys, Syrinx ou toi, le terrible Pan, et poursuivie, comme elle, au milieu des collines, y devenir une seconde Écho. Non, je ne quitterai pas ces feuillages ; après les arbres, je me cacherai encore à demi dans ces montagnes où chasse Diane, l’amie des Vierges. Mais, hélas ! le fils de

  1. Les guirlandes d’Amyclée. — Hyacinthe était d’Amyclée ; Apollon dispute à Ajax l’honneur d’avoir gravé ses regrets sur la fleur homonyme de son favori : Litera communis mediis pueroqne viroque Inscripta est follia : haec nominis, illa querelae. (Ovide. Mét, t. XIII, v. 39.)
  2. L’olivier Moria. — Ce nom des douze oliviers sacrés, croissant à Athènes dans l’enceinte de la citadelle, à l’ombre du Parthénon, et fournissant l’huile des fêtes Panathénées, leur avait été légué par la nymphe Moria, chère à Minerve. « Quand tu iras à l’Académie, » dit Aristophane, » tu te promèneras sagement avec quelque ami de ton âge sous les oliviers sacrés. » (Nuées, v. 1003.) Ces oliviers athéniens me rappellent, et ici je ne voudrais qu’on m’accusât d’un rapprochement blasphémateur, les vieux oliviers que j’ai vus eu Sicile sur la route qui mène de Calatafimi au temple de Ségeste. « Ils sont vénérés et portent une croix gravée sur leur écorce, parce qu’ils donnent l’huile pour les fêtes de la sainte Vierge, » me disait mon guide, « et ils font brûler la lampe de la Madone, leur voisine, devant laquelle nous a venons de passer. »
  3. Les Thalysies. — Fêtes de Cérès ; on y célébrait, par des sacrifices et des danses, la maturité des épis et l’époque de la moisson. Neque ante Falcem maturis quisquam supponat aristis, Quam Cereri, torta redimitus tempora quercu, Dei motus incompositos, et carmina dicat. (Virg., Géorg., I. 1, v. 347-350.)
  4. Les Hadryades étaient peu connues sous ce nom dans la mythologie, et les poètes les plus hardis des premières époques n’avaient jamais, par soumission pour la prosodie, risqué une telle création. J’étais tenté de lire αἱ δρυάδες ; mais peut-être Nonnos a-t-il été encouragé à créer le mot synonyme ou abrégé d’Hamadriades par ce vers de Properce,où quelques glossateurs primitifs avaient aussi glissé des Adryades, et qui depuis a été rétabli ainsi : Non minor Ausoniis est amor, ah ! Dryasin. (Prop., l.I, él.. XX, v. 8.) Faudrait-il lire Ὑδριάδες ? comme dans ce vers d’une épigramme de Platon : Ὑδριάδες Νύμφαι, Νύμφαι Ἀμαδρυάδες. (Anth. IX, 823.) Quoi qu’il en soit, les Ηadryades ont prévalu dans les Dionysiaques, où on les retrouve au XXXIIe chant (vers 144 et 293) ; et de là, elles ont passé dans l’Anthologie.
  5. Pitys. — La nymphe Pitys, pour avoir préféré Borée à Pan, fut écrasée par celui-ci contre un rocher, et métamorphosée en pin. Ses larmes sont la résine. Est honor et lacrymis.