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La langue amphigourique, ressuscitée par Vadé et fort connue des bateleurs, mais dont il y a plus d’un échantillon dans Bruscambille, et qui rappelle à tout le monde le plaidoyer des deux seigneurs, si plaisamment appointés par Pantagruel, est probablement le nec plus ultrà des langues de non-sens. J’excepte néanmoins par respect les langues scientifiques. Cette manière d’exprimer quelque chose qui a l’apparence d’une pensée, est ce qu’en dialecte poissard on appelle aujourd’hui le bagou, mélange hardi des idées les plus disparates, des locutions les plus hibrides, des formes de langage les moins susceptibles de s’allier entre elles, soutenues dans un discours de longue haleine avec l’énergie passionnée de la conviction et l’imperturbable volubilité d’une improvisation sérieuse. Elle est voisine en ce sens du Pédantesque et du Gratien, mais elle se rapproche davantage encore du bavardage hétéroclite des fous. Les Italiens en auroient probablement fait la langue fanfreluchesque, s’ils avoient eu le bonheur de posséder Rabelais, car elle doit avoir pris sa source dans les fanfreluches antidotées qui seroient peut-être le caprice le plus délirant de l’esprit humain, si les fanfreluches antidotées n’avoient eu des commentateurs.

On le dira sans doute, et j’en conviens : cette langue saugrenue n’est pas aussi éloignée qu’elle en a l’air, du galimathias de l’idéologie, du pathos de la tribune, des battologies oratoires du barreau, des logogryphes politiques de la presse. Elle en diffère seulement par deux points essentiels. Les fanfreluches sont beaucoup plus amusantes, et beaucoup plus raisonnables ! Divine Providence des langues et des littératures, daignez nous rendre la langue amphigourique, s’il vous plaît ! Elle n’a jamais fait de mal à personne.

Oh ! combien j’aimerois mieux, s’il m’étoit permis de