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LE LIVRE DE MA VIE

ment, aussi désespérément que l’amant voit, en songeant et sous l’influence du désir, la chevelure crépelée de la jeune fille qu’il espère obtenir sans en avoir la formelle certitude.

Je n’aimais donc pas l’avenue Hoche, vaste et claire, ni l’hôtel au portail blond et verni qui s’ouvrait sur la voûte sonore ou nous nous arrêtions pour prendre le chemin des appartements, tandis qu’en avant de nous apparaissaient la cour et les écuries couleur de brique, qu’enveloppait une vague odeur animale. Mais c’est là, pourtant, que je reçus toutes les leçons de ma petite vie, car, dans le jardin du lac Léman, je n’écoutais que les voix de l’univers.


Dans la maison de Paris, comme dans la demeure d’Amphion, près d’Evian, il y avait, immenses à nos yeux par leur liberté et leurs privilèges sans bornes, mon père et ma mère. Mon père, ancien élève de Saint-Cyr, ne tarissait pas de louanges sur la dure discipline à laquelle il s’était plié avec passion dans la sévère école, qu’il vénérait comme un temple. Il se réjouissait d’avoir souffert du froid, du lever avant l’aube, de la nourriture rebutante, des exercices pénibles, des ordres reçus et exécutés, et, comme tout humain qui a triomphé de l’esclavage, il y avait puisé un fier