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les soldats sur la route…


Et je sentis alors les forces de mon cœur
Te rejoindre en un lieu plus grave que la joie,
Plein de vent, de fumée et d’éclairs, où s’éploie
L’archange des combats, sans fatigue et sans peur.

Mon amour transformé délaissait ton visage
Par qui tout est pour moi raison, paix, vérité ;
Et comme un fin rayon mêlé à ma clarté
Je t’emportais dans un mystique paysage…

— Mais la tiédeur du soir, les doux champs inclinés,
La splendide et rêveuse impuissance des âmes
Dans mon cœur exalté faisaient plier les flammes,
Comme un feu champêtre est par le vent réfréné.

Un pâle étang dormait au cercle étroit des saules,
Les collines versaient le blé mûr comme un lait :
Tes yeux où le désir naissait et se voilait
Avaient l’azur aigu et condensé des pôles.

Nous écoutions bruire, au bord des bois sans fond,
Les cris épars, confus des geais, des pies-grièches,
Le murmure inquiet et suspendu que font
Les pas ronds des chevreuils froissant des feuilles sèches.