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bénissez cette nuit…

Ont le robuste éclat d’une plante laineuse,
Ces bonheurs du matin juvénile, où le corps
Rejoint l’éternité en dépassant la mort,
Ces besoins éperdus de pitié ou de rage,
Ces soleils, embrasant de muets paysages,
Tu les posséderas comme un raisin qu’on mord,
Dans le bonheur gisant qui ressemble à la mort !
Ainsi sois bienveillant, doux envers la caresse ;
Console, et, si tu peux, abolis ma tendresse.
Je meurs d’une suave et vaste vision :
J’aime en toi l’infini avec précision ;
Pour cacher mon ardeur aux regards des étoiles,
Cher pâtre, étends sur moi tes deux mains comme un voile.
Vois, je serai, mes bras pressés à tes côtés,
Comme un fleuve immortel enserrant la cité.
Mais ton front est sévère et ta voix est confuse ;
Va-t’en, déjà le jour élance ses clartés.
J’entends dans les taillis tourner le vol des buses ;
Les marchands, au lointain, jettent leurs cris flûtés.
Voici l’âne, porteur de fruits ; craignons la ruse
Du maître qui le suit. Va-t’en de ce côté…

Ah ! faut-il que mon cœur en vain s’élance et s’use,
Et que ce bonheur soit en toi, qui le refuses !

Je t’aime et je voulais en t’aimant m’appauvrir.
Ah ! comme le désir souhaite de mourir !…