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la musique de chopin

Profond comme la mer immense et remuée,
Pousse jusqu’en mon cœur ses sonores nuées !
— Ô sanglots de Chopin, ô brisements du cœur,
Pathétiques sommets saignant au crépuscule,
Cris humains des oiseaux traqués par les chasseurs
Dans les roseaux altiers de la froide Vistule !
Soupirs ! Gémissements ! Paysages du pôle
Qu’entr’ouvre le boulet d’un soleil rouge et rond,
Noir cachet de la foudre au cœur chenu des saules,
Tristesse de la plaine et des cris du héron !
Ô Chopin, votre voix, qui reproche et réclame,
Comme un peuple affamé se répand dans nos âmes ;
Vous êtes le martyr sur le gibet divin ;
Votre bouche a goûté le fiel au lieu du vin ;
Toute offense a meurtri votre cœur adorable ;
La mer se plaint en vous et arrache les sables,
Chopin ! Et nous pleurons les bonheurs refusés,
Tandis que votre sombre et musicale rage
S’étend, sur l’horizon chargé de lourds nuages,
Comme un grand crucifix de cris entre-croisés !