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Comme un large éventail dans les nuits sévillanes…
Sur l’aride sentier, un pâtre sur un âne
Chantonne, avec l’habile et perfide langueur
D’une main qui se glisse et qui cherche le cœur…

— Par ce cristal des jours, par ces splendeurs païennes,
Seigneur, préservez-nous de la paix quotidienne
Qui stagne sans désir, comme de glauques eaux !
Nous avons faim d’un chant et d’un bonheur nouveau !
Je sais que l’âpre joie en blessures abonde,
Je ne demande pas le repos en ce monde ;
Vous m’appelez, je vais ; votre but est secret ;
Vous m’égarez toujours dans la sombre forêt ;
Mais quand vous m’assignez quelque nouvel orage,
Merci pour le danger, merci pour le courage !
À travers les rameaux serrés, je vois soudain
La mer, comme un voyage exaltant et serein !
Je sais ce que l’on souffre, et si je suis vivante,
C’est qu’au fond de la morne ou poignante épouvante,
Lorsque parfois ma force extrême se lassait,
Un ange, au cœur cerclé de fer, me remplaçait…
— Et pourtant, je ne veux pas amoindrir ma chance
D’être le lingot d’or qui brise la balance ;
D’être, parmi les cœurs défaillants, incertains,
L’esprit multiplié qui répond au Destin !
Je n’ai pas peur des jours, du feu, du soir qui tombe ;
Dans le désert, je suis nourrie par les colombes.