Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/147

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
les soirs de catane

Sur la place, où brillaient des palais d’apparat,
La foule vers minuit s’entassait, sinueuse :
Les pauvres, les seigneurs glissaient bras contre bras ;
Un orchestre opulent jouait des opéras,
L’air se chargeait de sons comme une conque creuse ;
Enfin tout se taisait ; la foule restait tard.
On voyait les serments qu’échangeaient les regards,
Et c’était une paix limpide et populeuse…

Au lointain, par delà les façades, les gens,
La mer de l’Ionie, éployée et sereine,
Sous l’éclat morcelé de la lune d’argent
Comme une aube mouillée élançait son haleine…

Les bateaux des pêcheurs, qu’un feu rouge éclairait,
Suivaient nonchalamment les vagues poissonneuses.
Le parfum du bétail marin, piquant et frais,
Ensemençait l’espace ainsi qu’un rude engrais.
Le ciel, ruche d’ébène aux étoiles fiévreuses,
À force de clarté semblait vivre et frémir…
— Et je vis s’enfoncer sur la route rocheuse
Un couple adolescent, qui semblait obéir
À cette loi qui rend muets et solitaires
Ceux que la volupté vient brusquement d’unir,
Et qui vont, — n’ayant plus qu’à songer et se taire, —
Comme des étrangers qu’on chasse de la terre…