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tu vis, je bois l’azur…


Que plus froid que le froid, sans regard, sans oreille,
Germe qui se rendort dans l’œuf universel,
Vous soyez cette cire âcre, dont les abeilles
Écartent leur vol fraternel !

N’est-il pas suffisant que déjà moi je parte,
Que j’aille me mêler aux fantômes hagards,
Moi qui, plus qu’Andromaque et qu’Hélène de Sparte,
Ai vu guerroyer des regards ?

Mon enfant, je me hais, je méprise mon âme,
Ce détestable orgueil qu’ont les filles des rois,
Puisque je ne peux pas être un rempart de flamme
Entre la triste mort et toi !

Mais puisque tout survit, que rien de nous ne passe,
Je songe, sous les cieux où la nuit va venir,
À cette éternité du temps et de l’espace
Dont tu ne pourras pas sortir.

— Ô beauté des printemps, alacrité des neiges,
Rassurantes parois du vase immense et clos
Où, comme de joyeux et fidèles arpèges,
Tout monte et chante sans repos !…