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LES BLESSÉS

Le soir venait sans bruit, — le soir du pays basque.
Au mur nu scintillait un clairon près d’un casque,
Une femme passait en offrant du raisin,
On voyait se mouvoir des pieds bandés de toile
Et des fronts se hausser au-dessus des coussins.
Je regardais le ciel où naissait une étoile,
Mais l’espace est sans voix et sans complicité
Pour les meurtres sacrés où l’homme est emporté.
Puis des chiens aboyaient dans les fermes lointaines.
On entendait frémir les ailes, les antennes,
Tout le monde animal et son puissant baiser.
L’ombre furtivement s’emparait des visages
Où les regards luttaient dans le soir apaisé.
Tous ces soldats semblaient portés sur un nuage
Et ne plus souhaiter nul lieu où se poser,
Tant ils possédaient l’aile et le vent des archanges…

— Qu’à jamais soient dotés d’honneurs et de louanges
Ces hommes qui sans peur, sans haine et sans dégoûts,
Se ruant sur la guerre et recevant ses coups,
Ont, dans un naturel et prodigue mélange,
Tout semblables au sol qu’ils gardent et qu’ils vengent,
Fait jaillir de leur corps, de leur âme accouplés,
Le tumulte du vin et la bonté du blé !

Octobre 1914.