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VERS ÉCRITS EN ALSACE

Quand le cœur n’étairpas à jamais abattu
Par ce qui fut possible et qu’on n’avait pas cru.
Dans ces temps bienheureux où les étés brasillent,
Une enfant sur la route, affamée, en guenilles,
Un âne dont le faix ensanglantait le dos,
Étaient toujours pour moi un si cruel fardeau
Que j’avais le désir, tant la pitié m’oppresse,
De mourir, pour cesser d’éprouver la détresse
De ne pquvoir aider et sauver de tout mal
Cette enfant inconnue et cet humble animal…
— Et puis nous avons dû subir le sort terrible
De voir tout ce qui vit et luit passer au crible
De la hideuse mort, qui rendait en lambeaux
Tout ce qu’elle avait pris, si riant et si beau !
— Avoir fait de ces corps de si larges semailles
Que partout où l’on est, que partout où l’on aille,
L’on entende germer des morts adolescents !
— Jardin de mon enfance, il n’y a pas de sang
Parmi l’éclosion de vos plantes naïves ;
Un léger volant d’eau se défait sur la rive
Et couvre, en s’épandant, de sa fraîche clarté,
Mille petits cailloux, chassés et rapportés.
Qui font un bruit secret et glissant de rosaire.
Une joie assurée, et qui n’est pas altière.
Pénètre le tissu des sirupeuses fleurs.
Un roitelet, gonflé de moelleuse chaleur,
Menant dans un sapin sa course étroite et vive.