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POÈME DE L’AZUR

Ô tireuse de l’arc, guerrière de l’été,
Je veux toucher ta joue et ton cœur dilaté,
Ta blancheur qui ressemble au beau temple d’Egine,
Qui ressemble au vol blanc des cigognes de Chine,
Aux Bouddhas assoupis dont les mains sont en or,
A l’immense chaleur des places de Louqsor,
Aux mers de Marmara lumineuses et chaudes,
Aux marchés de Turquie où tant de fièvre rôde,
Où le besoin de boire est un si dur désir
Qu’une pastèque fait sangloter de plaisir !
A Téhéran qui gonfle et balance ses dômes,
A Mossoul qui se meurt sous des baisers d’aromes,
Où l’on voudrait, frappant un azur submergeant,
Lever contre le ciel des boucliers d’argent !
– Mais qu’importe, chaleur, ta force âpre et cruelle,
C’est toi la vie ardente, avide, sensuelle !
C’est toi qui rends soudain sulfureux et strident
Le doux bord alangui des routes d’Occident ;
C’est toi qui viens briller sur les stores de toile
Comme une matinale et souveraine étoile,
Toi qui fais éclater comme un fruit de Blidah
Les timides volets des blanches vérandas,
Qui fais qu’un mol étang où quelque barque chôme
Devient plus langoureux que les rives de Côme,
Et que le cœur, enfin, lumineux, écarté,
S’enivre de loisirs, de mort, de volupté,
D’âcres langueurs, de feu, de secrets, de phosphore
Comme un blanc cimetière ouvert près du Bosphore…