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LA CONSOLATION DE L’ÉTÉ

Écumant sur le jour comme l’eau sur les rives,
Montent cette buée et ces soupirs pareils
À la vapeur royale et blanche des soleils…
– Ô jardins ! ô maisons que je ne puis décrire !
Où la paix, le bonheur, la musique et le rire
Sont enfouis, cachés, trésor mystérieux,
Vous êtes le délire et l’amour de mes yeux !
Vous êtes ma constante et vaporeuse aurore,
Je sens vivre chez vous tous les dieux que j’adore,
Mes dieux de l’Ionie et tous les dieux humains,
Petits faunes gaulois, celtiques et germains,
Dieux des rayons joyeux que le gravier émiette,
Dieux des bois, des bassins, des fleurs, de la brouette,
De la bêche d’argent, du puits, de l’arrosoir,
Petits dieux du matin et petits dieux du soir !
Ainsi, quand tout est tendre et clair, quand tout se pâme,
Quand les blancs papillons sont brodés sur notre âme,
Quand on sent palpiter l’arome et la couleur,
Vous ne pouvez nous vaincre, oppressante Douleur !
Je sens bien que sur moi votre main glisse et passe,
Qu’importe, je bondis, je m’enfuis dans l’espace
Vos perfides conseils de soupir et d’amour
Attirent moins la cœur que la beauté du jour
Dont chaque grain du sang se recouvre et s’étonne…
– Et l’on se sent alors libre comme Antigone
Qui, voyant approcher son suprême moment,
repoussant le bras triste et fort de son amant
Et détachant de lui son ardeur coutumière,
Ne se mariait plus qu’à la douce lumière…