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LES HÉROS


Je vois luire leurs yeux, leur frémissant visage,
La place ardente de leur cœur,
L’un a le luth, l’autre a la tempête et l’orage,
L’autre le sang et la sueur.

Ah ! laissez-moi partir, laissez que je rejoigne
Ce cortège chantant, divin,
Que je sois la timide et rêveuse compagne
Qui porte le sel et le vin.

Laissez que j’aille auprès de ceux dont l’existence
Répandait des rayons pourprés,
Et qui sont dans la mort entrés avec aisance
Et comme des danseurs sacrés !

Combien de fois n’ayant plus la force de vivre
Ai-je soudain souri, bondi,
Pour avoir entendu les trompettes de cuivre
Des adolescents de Lodi !

Combien de fois pendant ma dure promenade,
Mon cœur, quand vous vous fatiguiez,
Ai-je évoqué pour vous, dans la claire Troade,
Achille sous un haut figuier !

— J’ai pour héros tous ceux que le génie égare,
Amants du rêve et du désir ;
Et l’enfant de treize ans mourant dans la bagarre
Et riant de ce grand plaisir !