Page:Noailles - Les Éblouissements, 1907.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
402
MES VERS, MALGRÉ LE SANG…


Ô mes vers assoupis vous n’êtes pas moi-même,
Vous avez pris ma voix sans prendre mon ardeur,
Les plus longs aiguillons sont restés dans mon cœur
Et nul ne saura rien de ma force suprême.

Ah ! pour vraiment goûter mon ineffable émoi,
Pour connaître mon âme et ce que fut ma vie,
Il faudrait que l’on m’eût, dans les chemins, suivie,
À l’heure, ô Poésie, où vous naissiez de moi !

À l’heure où mes mains sont au niveau des monts roses,
Où mon front lumineux est à l’azur pareil,
Où je vois à la fois la lune et le soleil
Dans le palais secret où les jours se composent ;

À l’heure où tout l’amour se rejoint dans mon cœur,
Venant de tout l’espace et de toute contrée ;
Où, dans un clair jardin, l’abeille rencontrée
Me transmet sa luisante et divine vigueur !

À l’heure où l’aube d’or souffle sa fraîche haleine,
Où, sur un vert coteau baigné de vents sucrés,
Les trèfles, dont les fleurs sont des pinceaux pourprés,
Comme un rose torrent dévalent vers la plaine,

Où, les deux bras jetés sur la douce saison,
J’appuie au bleu de l’air ma bouche vive et morte,
Où les blancs papillons que la brise transporte
Dans un narcisse éclos tombent en pâmoison.