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LES ADOLESCENTS


Un train passe, et voici que ce sifflet strident
Qui s’élance, grandit et disparaît vous tue,
Et dans l’ombre aplanie où toute voix s’est tue
Vous broyez votre espoir immense entre vos dents.

Vous rêvez, vous courez, vous soulevez la tête,
L’espace étant étroit vous cherchez l’infini ;
Alors pareil au vent, à la cigale, au nid,
Mon chant glisse vers vous sa simple et chaude fête.

Solitaires charmants qui rêvez dans un parc,
Enfants que vient blesser la seizième année,
Et qui, lassés des fleurs que vos doigts ont fanées,
Guettez les jeux cruels de la uèche et de l’arc,

Je le sais, vous prenez quelquefois l’humble livre
Où mes luisants rosiers ont toute leur fraîcheur,
Où les chuchotements avides de mon cœur
Sont le vol d’une abeille éternellement ivre,

Et sentant que l’été ne m’est pas plus léger
Qu’il ne l’est à votre âpre et frêle adolescence,
Que je me trouble aussi pour une molle essence,
Pour les mille parfums d’un seul vert oranger,

Parmi tous les errants vous choisissez mon âme,
Vous attirez à vous cette plaintive sœur,
Et les gestes fervents de vos mains sur mon cœur
Sont les soins ingénus que mon laurier réclame.