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LUNE ROSE D’ARGENT

Ô blanche solitude, île des mers d’en haut,
Ô marbre aérien, ô pierre du tombeau,
Toi qui silencieuse, éparse, taciturne,
Guettes tous les ébats dans la forêt nocturne,
Ainsi ce n’est donc pas l’instinct farouche et doux
Qui chante, se déchire et se lamente en nous.
Puisque les animaux, joyeux, puissants, agiles,
Goûtent sans désespoir leurs unions fragiles,
Et se quittant après l’enlacement sacré
Poursuivent doucement leur songe séparé…
Mais comme un flot glissant du bord des deux rivages,
Comme un appel montant de l’abîme des âges,
Comme un écho qui vient à l’autre écho s’unir,
Les cœurs voluptueux veulent s’évanouir.
Pourquoi ce goût divin du suprême mélange,
Pourquoi le corps de Pan et les ailes de l’ange,
Pourquoi ce vain espoir, ce délire obstiné,
Le sais-tu, pâle fleur, divine Séléné ?
— Combien de cœurs brûlants, combien d’amants sans joie
Qu’un plus amer désir, tente, tourmente et ploie,
Qui refusant la paix ou le plaisir païen,
Souhaitant un plus sombre et plus puissant lien,
S’écartant de l’azur mais ne pouvant descendre
Dans la terre suave où se mêlent les cendres,
Cherchent à composer, par leur regard profond,
Par l’esprit ébloui qui dans l’autre se fond,
— Ô volupté divine aux humains interdite —
Le fils paisible et beau d’Hermès et d’Aphrodite !…