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LES VIOLONS DANS LE SOIR


Et le brûlant archet, enroulé de langueur
Gémit, souffre, caresse,
Poignard voluptueux, qui pénètre le cœur
D’une épuisante ivresse !

Alors, ceux qui sont là, dans l’odeur de santal
Que le vent noir déplisse,
Prennent la nuit paisible à témoin de leur mal
Et de leur long supplice.

Les yeux n’ont plus de crainte, ils veulent du bonheur,
Ils défaillent, ils flottent,
Nul ne cherche à cacher la plaintive impudeur,
Tous les regards sanglotent.

Bacchus bohémien ! Dieu des âcres liqueurs,
Est-ce donc toi qui presses
Ce désir sur les dents, ce citron sur les cœurs,
Ces vignes de tristesse ?

Là-bas l’ombre fraîchit, le ciel est calme et doux,
C’est l’odeur du feuillage,
Mais un cercle de feu se ferme autour de nous,
On s’acharne au carnage.

Les lèvres ont ce pli de douleur et de faim,
Cette humble et pâle extase
Que donne le désir, quand il est comme un vin
Qui déborde du vase.