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PROMENADE EN ÉTÉ

De la maison fermée aucun bruit ne se sauve,
La glycine a le poids lustré d’un raisin mauve.
Je regarde le cèdre étendu, vert perchoir
Où les petits oiseaux tournants se laissent choir.
Le toit couleur d’argent, de pigeon, de nuage,
Avance doucement une aile de vitrage,
Et les massifs sont gais comme un cœur soulevé
Par le désir, par le plaisir enfin trouvé !
Il semble que les dieux aient construit là leur tente
Et l’aient abandonnée à son humeur charmante.
Et tout est si soumis, si complaisant, si doux,
Si parfait, si paisible et si content de nous,
Si plein d’une tendresse immuable et subite,
Que je me dis : « C’est là que le bonheur habite ! »
Mais, hélas ! si j’entrais, si je m’asseyais là,
Près du feuillage mol et mince des lilas,
Si mon pied avançait sur le gravier qui glisse,
Si mes yeux pénétraient dans le secret délice,
Si je montais la marche aimable du perron,
Si je pressais cet arbre où grimpe un rosier rond
Qui tourne et fait tomber sa floraison de rêve,
Si je touchais à ce jardin d’Adam et d’Eve,
Si je posais enfin le poids de mon désir
Sur tous ces frais instants qu’il ne faut pas saisir,
Ah comme vous seriez rapidement fanée,
Volupté, dont je suis ce matin étonnée !…