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LE ROSSIGNOL DANS LE JARDIN DU ROI

Dans le parc alangui, dans ce salon des rosés !
– Rossignol qui chantez, avez-vous votre cœur
Tout près du seringa jaillissant, dont la fleur
S’exalte et luit ce soir aussi haut que votre arbre ?
La voyez-vous pâlir sous la lune de marbre ?
Est-elle toute molle et chaude contre vous ?
Riez-vous ? Pleurez-vous ? Êtes-vous triste ou fou ?
Avez-vous le plaisir que nous rêvons sans cesse ?
N’êtes-vous tous les deux qu’une seule caresse ?
Hélas ! tous ces rosiers, comme ils viennent sur moi,
Par leurs soupirs, par leur parfum, par leur émoi.
Je les vois dans la nuit, en cercle, autour de l’urne.
La nuit semble expansive et pourtant taciturne.
Ah ce bouquet de fleurs pour un seul frêle tronc,
Cinquante fleurs sur un rosier chétif et rond ;
Sous ce poids éperdu tout l’arbuste succombe ;
Comme la volupté nous courbe sur la tombe…
Un peu de vent s’enroule autour de moi soudain
Il est tout englué des sèves du jardin.
Je n’ai plus qu’à mourir, se peut-il qu’on supporte
Ces promesses d’ardeur, ce feu, cette odeur forte ?
Pourtant, là-bas, le lin a son calice clos,
Le lobélia bleu s’endort comme un mulot,
L’anémone se ferme et ne veut plus entendre
L’errant désir, toujours gonflé de pollen tendre.
Ces fleurs semblent en paix, calices apaisés
Ayant beaucoup reçu de larmes, de baisers,
Mais pour le cœur brûlant, mais pour la créature,
Rien ne vient achever sa sublime torture.