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LA DOMINATION

Au coucher du soleil, les mâts roses des bateaux de la Giudecca, les vertiges d’un horizon somptueux l’enivraient ; des cloches, en sons limpides et fêlés, coulaient sur l’eau ; et, sous le ciel soulevé, les coupoles rondes des églises se dessinaient avec une pureté émouvante : cette netteté d’un beau visage, du visage des enfants de huit ans, quand la ligne du menton et des joues est si éclatante et si douce.

Au moment de ces crépuscules, alangui dans la ronde embarcation où la sensuelle mollesse des coussins fait songer aux « divans profonds comme des tombeaux », il éprouvait ce chaud, ce froid, ces malaises, cet incertain et déchirant bonheur dont s’irritent à Venise l’imagination, le sang, les nerfs et la peau. Et, gorgé de tristes délices au point qu’il en pensait mourir, le jeune homme s’étonnait d’écouter dans sa mémoire les faibles, les frivoles vers de Musset :