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LA DOMINATION

Bengale, qui faisaient des vapeurs pâmées, on voyait bouger cent gondoles rapprochées, pressées, tissées. Leurs corps noirs, sur l’eau, avaient ce mystérieux mouvement vivant qui semblait à Antoine Arnault secrètement voluptueux, et l’oppressait jusqu’à pleurer.

L’eau et la barque, de quel plaisir ondulent-elles et frissonnent-elles ensemble ?

Et voici qu’arrive un radeau lumineux, pavoisé de lampions verts, rouges, blancs ; un faible orchestre y retentit.

Toutes les gondoles se rangent autour de cette barque, et font, sur les flots du canal, une petite place publique, dense, noire et flottante.

Des chants s’élèvent, violons grêles, tambourins, voix pathétiques — voix qui demandent l’eau brûlante pour la soif amoureuse, l’ardeur cruelle pour le cruel désir, — et Antoine Arnault s’enfuit dans sa chambre ; il veut s’assourdir, s’endormir,