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NOA NOA

Elle fit une cigarette tahitienne et s’allongea sur le lit pour fumer. Ses pieds caressaient d’un geste machinal, continu, le bois d’extrémité ; sa physionomie s’adoucissait, s’attendrissait sensiblement, ses yeux brillaient, un sifflement régulier s’échappait de ses lèvres — et j’imaginais, à l’écouter, le félin qui ronronne en méditant quelque sanglante sensualité.

Comme je suis changeant, je la trouvais maintenant tout à fait belle, et quand elle me dit, de la saccade dans la voix : « Tu es gentil, » un grand trouble m’envahit. Décidément la princesse était délicieuse…

Elle se mit à réciter une fable, sans doute pour me faire plaisir, une fable de la Fontaine — souvenir de son enfance, chez les sœurs qui l’avaient instruite : La Cigale et la Fourmi.

La cigarette était toute partie en fumée.

— Tu sais, Gauguin, fit la princesse en se levant, je n’aime pas ton La Fontaine.

— Comment ? Notre bon La Fontaine !

— Peut être est il bon, mais ses morales sont laides. Les fourmis… (et sa bouche exprimait le dégoût). Ah ! les cigales, oui ! Chanter, chanter, toujours chanter !

Et fièrement elle ajouta, sans me regarder, les yeux enflammés et s’adressant loin :

— Quel beau royaume était le nôtre, quand on n’y vendait