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NOA NOA

et j’ai grandi dans l’admiration de ton antique beauté, qui est la jeunesse immémoriale de la Nature. Et je suis devenu meilleur d’avoir compris et d’avoir aimé ton âme humaine, — une fleur qui achève de fleurir et dont personne, désormais, ne respirera plus l’odeur.

Quand je quittai le quai, au moment de prendre la mer, je regardai pour la dernière fois Téhura. Elle avait pleuré plusieurs nuits durant. Lasse maintenant, et triste toujours, mais calme, elle se tenait assise sur la pierre, les jambes pendantes, effleurant de ses pieds larges et solides l’eau salée. La fleur qu’elle portait, le matin, à son oreille, était tombée sur ses genoux, fanée. De distance en distance, d’autres, comme elle, regardaient, fatiguées, muettes, mornes, sans pensées, la lourde fumée du navire qui nous emportait tous, bien loin, pour jamais, amants d’un jour. Et de la passerelle du navire, avec la lorgnette, longtemps encore, tandis que nous nous éloignions, il nous sembla lire sur leurs lèvres ces vieux vers maories :

Vous, légères brises du sud et de l’est,
Qui vous joignez pour vous jouer et vous caresser au-dessus de ma tête,