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NOA NOA

leur hommage, les exalte, les enivre du soir et de leur beauté.

Le rythme du vivo et des chants se précipite.

Une odorante chaleur humaine se mêle aux senteurs intenses des cassolettes végétales exhalant leurs adieux aux ardeurs de la journée finissante : on respire, âcre et forte, l’odeur de la vie, dans ce cercle fermé, où la fête s’affole, lascif et mystique vertige, dans cette atmosphère dangereuse d’un inabordable monde, où la fête s’affole.

La fête s’affole ! Les chants peu à peu ont cessé, et même les notes du vivo. Mais la danse, fidèle au rythme progressif que tous entendent dans le silence, mais la danse plus vite tourne, toujours plus vite tourne, et les pieds qui volent et les seins qui tressautent gardent une démente cadence. Dans le rire muet des bouches, dans le rire qui s’oublie, qui s’éternise au pli des lèvres crispées, les dents larges luisent plus vives que les prunelles. Une férocité sensuelle se trahit aux appels des bras impérieusement tendus, aux lubriques essors brusques des jambes, — tant qu’enfin, rapide, la nuit tombe, la nuit pleine de soupirs et de cris. —

De telles nuits pourrait renaître le Passé, avec sa sauvagerie féconde, avec ses Dieux réels qui sont nés de telles nuits, avec les justes privilèges de la prostitution sainte et du délire héroïque.