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NOA NOA

En ouvrant la porte, je m’aperçus avec un serrement de cœur que la lumière était éteinte. La chose n’avait pourtant rien de surprenant ; nous ne possédions, pour le moment, que très peu de luminaire, et la nécessité de renouveler notre provision avait compté parmi les motifs de mon absence. Mais je tressaillis d’une brusque sensation d’appréhension, de défiance, que je pris pour un pressentiment : sûrement, l’oiseau s’était envolé…

Vite, je frottai des allumettes et je vis…

Immobile, nue, couchée à plat ventre sur le lit, les yeux démesurément agrandis par la peur, Téhura me regardait et semblait ne pas me reconnaître. Moi-même, je restai quelques instants dans une étrange incertitude. Une contagion émanait de la terreur de Téhura. J’avais l’illusion qu’une lueur phosphorescente coulât de ses yeux au regard fixe. Jamais je ne l’avais vue si belle, jamais surtout d’une beauté si émouvante. Et puis, dans ces demi-ténèbres, à coup sûr peuplées, pour elle, d’apparitions dangereuses, de suggestions équivoques, je craignais de faire un geste qui portât au paroxysme l’épouvante de l’enfant. Savais-je ce qu’à ce moment-là j’étais pour elle ? si elle ne me prenait pas, avec mon visage inquiet, pour quelqu’un des démons et des spectres, des Tupapaüs dont les légendes de sa race emplissent les nuits sans sommeil ? Savais-je, même, qui elle était, en