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avoir lieu entre un tuteur et sa fille d’adoption ; du reste, ajouta-t-elle après un silence, et comme se parlant à elle-même, l’un est mort, l’autre est dans une position terrible, est-ce à moi à insulter la mémoire de celui qui n’est plus, à aggraver peut-être la situation de celle qu’on accuse ? Non, Monsieur, non, je n’ai jamais souffert par eux, je regrette amèrement mon mari, et… j’aime toujours ma fille aînée !…

À ces mots, on entendit comme une rumeur d’admiration descendre, des tribunes, tandis que quelques jurés se mouchaient bruyamment.

L’accusée, elle, se leva toute grande ; par un mouvement brusque, elle rejeta en arrière le voile dont elle avait couvert ses traits quelques minutes auparavant. Ce pâle et beau visage, naturellement sévère, mais si serein et si calme, avait en ce moment une expression terrible ; dans son grand œil sombre comme la nuit passaient des éclairs de haine sauvage ; sa main était crispée sur la banquette, sa narine dilatée frémissait, on aurait dit que comme ces belles lionnes du désert elle allait s’élancer et bondir sur sa proie.

Jacques qui ne la quittait pas des yeux, saisit convulsivement le bras de M. de Boutin ; un rayon de joie éclaira son front tourmenté.

— Elle va parler, dit-il tout bas ; ah ! miséricorde !

En effet, l’accusée ouvrait la bouche :

— Je vous défends de jamais m’envoyer un témoignage d’affection ou d’intérêt, dit-elle d’une voix sifflante et aiguë comme une note de clairon, je vous le défends, ou… prenez garde !

Madame de Sauvetat, en proie à une émotion réelle, et impossible à dissimuler cette fois, s’affaissa presque mourante, et plus blanche que le mouchoir qu’elle essaya de porter à ses lèvres.