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HUMAIN, TROP HUMAIN

l’harmonie et la conduite des voix. D’un autre côté, l’opéra devait aussi avoir précédé ; l’opéra dans lequel le profane faisait connaître sa protestation contre une musique froide devenue trop savante, et voulait redonner à Polyhymnie une âme. — Sans cette tendance profondément religieuse, sans l’expression sonore de l’âme intimement émue, la musique serait restée savante ou d’opéra ; l’esprit de contre-Réforme est l’esprit de la musique moderne (car ce piétisme qui est dans la musique de Bach est aussi une sorte de contre-Réforme). Tant est profonde l’obligation que nous avons à la vie religieuse. — La musique fut la contre-Renaissance dans le domaine de l’art ; c’est d’elle que ressortit la peinture postérieure des Carrache, d’elle peut-être aussi le style baroque : plus en tout cas que l’architecture de la Renaissance ou de l’antiquité. Et maintenant encore on pourrait se demander : si notre musique moderne pouvait mouvoir les pierres, les assemblerait-elle en une architecture antique ? J’en doute fort. Car ce qui règne dans la musique, la passion, le plaisir en des dispositions élevées, très exaltées, le vouloir-devenir-vivant à tout prix, là succession rapide des sensations, le fort effet de relief en lumière et ombre, la juxtaposition de l’extase et du naïf, — tout cela a déjà une fois régné dans les arts plastiques et créé de nouvelles lois du style : — mais ce n’était ni dans l’antiquité ni au temps de la Renaissance.