Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
HUMAIN, TROP HUMAIN

sceptre à une divinité plus douce. Les pessimistes chrétiens de la pratique avaient, comme j’ai dit, un intérêt à ce qu’une autre opinion restât régnante ; il leur fallait, pour peupler la solitude et le désert spirituel de leur vie : un ennemi toujours vivant, et généralement reconnu, tel que le combattre et le réduire les fit toujours de nouveau voir aux non-saints comme des êtres incompréhensibles, à moitié surnaturels. Lorsque enfin cet ennemi, par suite de leur manière de vivre et de leur santé détruite, prenait la fuite pour toujours, ils s’entendaient toujours à voir aussitôt leur for intérieur peuplé de démons nouveaux. L’oscillation de montée et de descente des plateaux de balance Orgueil et Humilité intéressait leurs cervelles subtiles aussi bien que l’alternance de désir et de calme de l’âme. Alors la psychologie servait non seulement à suspecter tout ce qui est humain, mais à le calomnier, à le fouetter, à le crucifier : on voulait se trouver aussi pervers et méchant que possible, on recherchait l’inquiétude sur le salut de l’âme, la désespérance en sa propre force. Tout élément naturel auquel l’homme attache l’idée de mal, depéché (comme il a coutume de le faire actuellement encore touchant l’élément érotique), importune, assombrit l’imagination, donne une perspective effrayante, fait que l’homme est en lutte avec lui-même et le rend vis-à-vis de lui-même inquiet, méfiant. Même ses rêves contrevient un arrière-goût de conscience