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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

— qui eut honte de la richesse et des riches, et qui s’enfuit chez les plus pauvres, afin de leur donner son abondance et son cœur ? Mais ils ne l’accueillirent point. »

« Ils ne m’accueillirent point, dit le mendiant volontaire, tu le sais bien. C’est pourquoi j’ai fini par aller auprès des animaux et auprès de ces vaches. »

« C’est là que tu as appris, interrompit Zarathoustra, combien il est plus difficile de bien donner que de bien prendre, que c’est un art de bien donner, que c’est la maîtrise dernière d’ingénieuse bonté. »

« Surtout de nos jours, répondit le mendiant volontaire : aujourd’hui où tout ce qui est bas s’est soulevé, farouche et orgueilleux de son espèce : l’espèce populacière.

Car, tu le sais bien, l’heure est venue pour la grande insurrection de la populace et des esclaves, l’insurrection funeste, longue et lente : elle grandit et grandit toujours !

Aujourd’hui les petits se révoltent contre tout ce qui est bienfait et aumône ; que ceux qui sont trop riches se tiennent donc sur leurs gardes !

Malheur à qui, tel un flacon ventru, s’égoutte lentement par un goulot trop étroit : — car c’est à ces flacons que l’on casse à présent volontiers le col.

Convoitise lubrique, envie fielleuse, âpre soif de vengeance, fierté populacière : tout cela m’a sauté au visage. Il n’est pas vrai que les pauvres soient