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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

coloré sur cette prairie est déjà fané et gris maintenant ! Et combien j’ai porté de miel d’espérance d’ici à ma ruche !

Tous ces jeunes cœurs sont déjà devenu vieux, — et à peine s’ils sont vieux ! ils sont fatigués seulement, vulgaires et nonchalants : — ils expliquent cela en disant : « Nous sommes redevenus pieux. »

Naguère encore je les vis marcher à la première heure sur des jambes courageuses : mais leurs jambes de la connaissance se sont fatiguées, et maintenant ils calomnient même leur bravoure du matin.

En vérité, plus d’un soulevait jadis sa jambe comme un danseur, le rire lui faisait signe dans ma sagesse. — Puis il se mit à réfléchir. Je viens de le voir courbé — rampant vers la croix.

Ils voltigeaient jadis autour de la lumière et de la liberté, comme font les moucherons et les jeunes poètes. Un peu plus vieux, un peu plus froids : et déjà ils sont assis derrière le poêle, comme des calotins et des cagots.

Ont-ils perdu courage parce que la solitude m’a englouti comme aurait fait une baleine ? Ont-ils vainement prêté l’oreille, longtemps et pleins de désir, sans entendre mes trompettes et mes appels de héraut ?

— Hélas ! Ils sont toujours en petit nombre ceux dont le cœur garde longtemps son courage et son impétuosité ; et c’est dans ce petit nombre que l’esprit demeure persévérant. Tout le reste est lâcheté.