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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

tards et vous connaissez l’art de faire entrer la fange en ébullition.

Partout où vous êtes, il faut qu’il y ait de la fange auprès de vous, et des choses spongieuses, oppressées et étroites. Ce sont elles qui veulent être mises en liberté.

« Liberté ! » c’est votre cri préféré : mais j’ai perdu la foi aux « grands événements », dès qu’il y a beaucoup de hurlements et de fumée autour d’eux.

Crois-moi, démon aux éruptions tapageuses et infernales ! les plus grands événements — ce ne sont pas nos heures les plus bruyantes, mais nos heures les plus silencieuses.

Ce n’est pas autour des inventeurs de fracas nouveaux, c’est autour des inventeurs de valeurs nouvelles que gravite le monde ; il gravite, en silence.

Et avoue-le donc ! Mince était le résultat lorsque se dissipaient ton fracas et ta fumée ! Qu’importe qu’une ville se soit transformée en momie et qu’une colonne soit couchée dans la fange !

Et j’ajoute encore ces paroles pour les destructeurs de colonnes. C’est bien là la plus grande folie que de jeter du sel dans la mer et des colonnes dans la fange.

La colonne était couchée dans la fange de votre mépris : mais sa loi veut que pour elle renaisse du mépris la vie nouvelle et la beauté vivifiante !

Elle se relève maintenant avec des traits plus divins et une souffrance plus séduisante ; et en vérité ! elle vous remerciera encore de l’avoir renversée, destructeurs !