Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.
145
AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Mais sa soif ne le convainc pas de devenir pareil à ces satisfaits ; car où il y a des oasis il y a aussi des idoles.

Affamée, violente, solitaire, sans Dieu : ainsi se veut la volonté du lion.

Libre du bonheur des esclaves, délivrée des dieux et des adorations, sans épouvante et épouvantable, grande et solitaire : telle est la volonté du véridique.

C’est dans le désert qu’ont toujours vécu les véridiques, les esprits libres, maîtres du désert ; mais dans les villes habitent les sages illustres et bien nourris, — les bêtes de trait.

Car ils tirent toujours comme des ânes — le chariot du peuple !

Je ne leur en veux pas, non point : mais ils restent des serviteurs et des êtres attelés, même si leur attelage reluit d’or.

Et souvent ils ont été de bons serviteurs, dignes de louanges. Car ainsi parle la vertu : « S’il faut que tu sois serviteur, cherche celui à qui tes services seront le plus utiles !

L’esprit et la vertu de ton maître doivent grandir parce que tu es à son service : c’est ainsi que tu grandiras toi-même avec son esprit et sa vertu ! »

Et vraiment, sages illustres, serviteurs du peuple ! Vous avez vous-mêmes grandi avec l’esprit et la vertu du peuple — et le peuple a grandi par vous ! Je dis cela à votre honneur !

Mais vous restez peuple, même dans vos vertus,