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Allons ! Bon appétit ! Pourvu que le diable ne soit pas meilleur voleur que Zarathoustra ! — il les volera tous deux, il les mangera tous deux ! » Et ils riaient entre eux en rapprochant leurs têtes.

Zarathoustra ne répondit pas un mot et passa son chemin. Lorsqu’il eut marché pendant deux heures, le long des bois et des marécages, il avait trop entendu le hurlement affamé des loups et la faim le prit lui-même. Aussi s’arrêta-t-il à une maison isolée, où brûlait une lumière.

« La faim s’empare de moi comme un brigand, dit Zarathoustra. Au milieu des bois et des marécages la faim s’empare de moi, dans la nuit profonde.

Ma faim a de singuliers caprices. Souvent elle ne me vient qu’après le repas, et aujourd’hui elle n’est pas venue de toute la journée : où donc s’est-elle attardée ? »

En disant cela Zarathoustra frappa à la porte de la maison. Un vieil homme parut aussitôt : il portait une lumière et demanda : « Qui vient vers moi et vers mon mauvais sommeil ? »

« Un vivant et un mort, dit Zarathoustra. Donnez-moi à manger et à boire, j’ai oublié de le faire pendant le jour. Qui donne à manger aux affamés réconforte sa propre âme : ainsi parle la sagesse. »

Le vieux se retira, mais il revint aussitôt, et offrit à Zarathoustra du pain et du vin : « C’est une méchante contrée pour ceux qui ont faim, dit-il ; c’est pourquoi j’habite ici. Hommes et bêtes viennent à moi, le solitaire. Mais invite aussi ton compagnon à manger et à boire, il est plus fatigué que toi. » Zarathoustra répondit : « Mon compagnon est mort, je l’y déciderai difficilement. » — « Cela m’est égal, dit le