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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


103

Dis, ami, qu’ai-je pu acquérir des richesses de ce monde ? Rien. Que m’a laissé dans la main le temps qui s’est écoulé ? Rien. Je suis le flambeau de la joie ; mais une fois ce flambeau éteint, je ne suis plus rien. Je suis la coupe de Djèm[1], mais cette coupe une fois brisée, je ne suis plus rien.


104

Où sont donc les danseurs ? Où est le vin ? Vite, que je fasse honneur à la gourde[2] ! Heureux le cœur qui se souvient du vin du matin ! Oh ! il existe en ce monde trois choses qui me sont chères : une tête prise de vin, une belle amoureuse et le bruit du matin.


105

Puisque la vie s’écoule, qu’importe qu’elle soit douce ou amère ? Puisque l’âme doit passer par nos lèvres[3], qu’importe que ce soit à Nichapour ou à Bèlkh[4] ? Bois donc du vin, car après toi et moi, la lune bien longtemps encore passera de son dernier quartier à son premier, et de son premier à son dernier.

  1. Allusion au vide des choses de ce monde, au néant du corps humain après la mort. Djèm, en persan, signifie roi, souverain (voyez note 2, quatrain 67) ; [Texte en persan] signifie coupe de Djèmchid, coupe royale. Presque tous les poètes orientaux font mention de cette coupe merveilleuse inventée par le célèbre Kéy-Khosrov, troisième roi de la dynastie des Kéyaniens. Il était fils de Siavouch, fils de Kéy-Kavous, fils de Kéy-Kobad, lequel, selon quelques historiens, fut le fondateur de cette dynastie. Kéy-Khosrov, disent les historiens persans, au moyen de cette coupe, faite d’un certain métal et sur laquelle étaient gravés les signes du zodiaque et des lettres cabalistiques, gagnait une connaissance parfaite du mouvement des astres et des cieux, et prédisait l’avenir. On donne aussi ce nom de djam aux vitres, aux miroirs. Djèm ou Djèmchid et Alexandre le Grand ont possédé, chacun à leur tour, ce djam merveilleux orné de figures et de caractères symboliques, au moyen duquel ils pénétraient les secrets de Dieu et pouvaient prédire l’avenir. On appelle également cette coupe [Texte en persan], coupe ou miroir, qui représente te monde tel qu’il est réellement, et non tel que nous le voyons ou que nous le croyons voir. D’après la Genèse (xliv, 5), Joseph possédait une coupe au moyen de laquelle il faisait des prodiges.
  2. [Texte en persan] signifie, en arabe, gourde, ou le vin qu’on boit le matin, ou même le matin, l’aurore. Les buveurs orientaux trouvent un grand plaisir à boire le matin, lorsque le coq chante, pour faire disparaître, disent-ils, la lassitude produite par le vin absorbé la veille.
  3. [Texte en persan] l’âme est venue à la lèvre, ou a atteint la lèvre, expression persane fréquemment employée qui signifie : il se meurt, il expire.
  4. Allusion à l’indifférence que doit professer le sage pour les richesses de la terre et le bien-être qu’elles procurent. Selon Khèyam, la trop courte durée de notre existence ne mérite pas qu’on s’en préoccupe. Puisqu’il faut expirer, qu’importe qu’en mourant on soit riche ou pauvre ? Sé’édi a dit dans le même sens : [Texte en persan] « Lorsqu’une âme pure est près de s’en aller, qu’importe de mourir sur un trône ou d’expirer sur la poussière ? »